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les saisons du vent
30 mai 2007

le patient silencieux

le silence chez un patient est à considérer avec précaution,car il endort la vigilance du soignant.
parce que d'habitude,celui-ci est presque noyé sous un flot de paroles venues de toutes parts (malades,collègues,médecins,cadres,familles....),alors quand il se trouve face à un patient silencieux,il a tendance à considérer que tout va pour le mieux puisqu'il n'y a pas de doléances ou de demandes verbalisées.

c'est là le danger de passer à côté de quelque chose de sérieux ,parfois de très grave.
la 1ère qualité d'une infirmière est pour moi sa capacité d'observation qui doit être aiguisée et constante,machinale et soutenue....cela conduit naturellement à la fameuse intuition du soignant qui existe réellement.

petit apparté....
bien sûr,il ne faut pas que Dame Fatigue et Dame Sur-les-Nerfs viennent brouiller les choses....ces 2 parasites bien connues du monde infirmier,qu'on a bien du mal à éradiquer,surtout quand elles sont accompagnées de Sieur Pas-le-Temps.

-il y a le silence du patient comateux.
ainsi cet homme jeune,couvreur de son état,ivre ce jour-là,la chute,le cerveau grillé.
ainsi cette femme victime d'un accident de voiture,et celle-ci victime d'une attaque cérébrale.
ils sont en vie mais il n'y a plus beaucoup de communication,parfois des réactions au bruit et à la douleur,mais en fait c'est le vide derrière leurs yeux.

-il y a le silence de celui qui ne peut pas parler.
ainsi tous ces malades qui ont une trachéotomie (un trou dans la gorge pour respirer):en leur sauvant le souffle et la vie,on leur a pris la parole...cela concerne aussi les patients intubés en réanimation,les patients sous anesthésie,les opérés en salle de réveil...et les gens simplement endormis,d'un sommeil bizarre.

-il y a le silence dû à la barrière de la langue.
qu'il ou elle soit originaire d' Asie,du Maghreb,d'Afrique ou d'Europe non francophone (Portugal,Espagne,Italie,Angleterre,etc....),ou bien encore,âgé et parlant plus facilement dialecte que français,qu'il lui est dur d'exprimer et de faire comprendre ce qui se passe.....alors,il ou elle se fait oublier.

-il y a le silence du patient "taiseux".
il y a des gens naturellement réservés,voire taciturnes,qui n'ont pas l'habitude de s'exprimer,qui n'aiment pas parler d'eux,qui n'aiment pas "déranger",qui ne disent rien et qui attendent simplement que nous,soignants,remarquions quelque chose.
ainsi certains resteront,sans jamais appeler, dans un lit souillé pendant des heures,d'autres attendront le passage de quelqu'un pour montrer un bras gonflé par une perfusion qui diffuse,un pansement qui coule ou défait,une plaie nouvelle etc...

-il y a le silence du patient douloureux.
il y a des gens tellement douloureux qu'ils n'arrivent plus à le dire;la douleur prend tellement de place dans leur vie qu'ils n'arrivent même plus à imaginer un monde sans douleur....alors,ils se taisent et ne bougent plus à la manière des petits enfants,on croit qu'ils dorment ou qu'ils sont bien tranquilles assis au bord du lit, alors qu'ils sont juste centrés sur leur douleur,attentifs à ne pas la stimuler,essayant de la maîtriser.

-il y a le silence du patient mourant.
c'est un silence assourdissant en vérité,car à la difficulté de le décrypter,se rajoutent les sentiments complexes du soignant face à la mort:sentiment d'impuissance,d'échec,et surtout de peur.....tout ce qu'il faut pour éviter le plus possible cette chambre-là,mais le silence qui y règne poursuit d'autant celui (celle) qui le fuit.

-il y a le silence du patient qui souffre moralement
toutes ces douleurs de l'âme verrouillent plus sûrement la parole que n'importe quoi d'autre,car elles sont parfois difficiles à déceler,et très souvent impossibles à faire céder.
et pourtant,on sait combien parler peut libérer,on dit même que les mots guérissent les maux ..
c'est sûr,il y a de ces maux indicibles contre lesquels les mots sont bien pauvres,
mais il n'y a surtout pas assez d'écoute pour les recevoir,pas assez de temps aussi,hélàs.

il y a sûrement d'autres situations où on a des gens silencieux à soigner.
plus le patient est silencieux,plus il faut l'observer,car le silence peut être dangereux,il peut être l'arbre qui cache la forêt....mais il y a toute une communication non-verbale qui entre en jeu:une respiration différente,une certaine raideur dans l'attitude,un geste de protection (une main posée sur un endroit douloureux),ou un geste de défense,des sueurs,un certain regard,un certain manque de réaction,une pâleur étrange....
après bien sûr,il y a les prises de paramètres vitaux (tension,pouls,saturation etc....) à l'aide d'instruments,mais d'abord,c'est avant tout les yeux de l'infirmière qui doivent travailler,et l'alerter sur une situation nouvelle et/ou bizarre.

et ceci est particulièrement essentiel devant un patient silencieux car sa vulnérabilité devant ce qui lui arrive,nous rend aussi vulnérable,nous soignants....vulnérables à l'erreur.
parce qu'il y a des silences normaux:ceux de la personne qui veut dormir,qui veut être tranquille,qui veut lire,regarder la télé,qui n'a rien à vous dire,qui dort du sommeil du juste....il ne s'agit pas de voir du louche partout et tout le temps (!)

c'est d'une logique,mais parfois la frontière est mince entre la normalité et le problème.
ce n'est pas évident en réalité.

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Commentaires
M
merci à toutes les deux,vous m'encouragez à continuer
F
Bonjour Mirisa! Tu as encore écrit un très joli texte là... Et le remerciement de cette écriture, n'est-ce pas le commentaire laissé par élodie...? Allez, soignants, en avant!
E
Ah le silence...c'est vrai que c'est dur pour le soignant...dur de decrypter en effet.Je me souviens bien quà mon passage en réa intubée j'avais vraiment du mal à me faire comprendre...10 jours comme cela et je me dis: heureusement que les soignants etaient là.
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