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les saisons du vent
8 septembre 2007

murmures de guerre (II)

je suis une jeune infirmière de 23 ans.
c'est un monsieur dans les 70 ans.
il vient pour baisse de l'état général.
il a une grave maladie du sang depuis quelques mois,et là il est au bout du rouleau.

je le connais déjà de précédentes hospitalisations,et son visage s'éclaire quand il m'aperçoit en arrivant.
c'est un monsieur d'une extrême gentillesse,et bien que j'eus mieux aimé le savoir chez lui en bonne santé,je suis contente de le revoir.

je me retrouve en tête-à-tête avec lui à l'occasion de la pose de sa perfusion.
il me dit combien il se sent fatigué,fatigué de sa maladie,fatigué de lutter,fatigué de voir sa femme pleurer sans arrêt.
-c'est plus une vie,ça...
je lui réponds doucement:
-mais ce n'est qu'une mauvaise passe,vous verrez,avec les perfusions,vous allez être requinqué et ça ira mieux...
-je n'y crois plus,je le sens bien....et puis...je m'en fiche,je suis content...
-content?...mais de quoi?..
-je suis content,parce que je vais bientôt retrouver mon père...là-haut...(
il lève les yeux au ciel)
je suis un peu surprise par cette déclaration...il pense encore à son père mort probablement depuis des lustres ??
-vous pensez encore à lui?
-je pense à lui tous les jours,tous les jours...

je vois ses yeux briller de larmes contenues,je sens qu'il veut parler,je l'encourage du regard.
-vous comprennez,en 39,je suis parti comme soldat,et puis j'ai été fait prisonnier....
...cinq ans prisonnier en Allemagne..ma jeunesse foutue....j'ai tenu parce que j'avais envie de revoir mon père...et quand je suis revenu,il était mort et enterré depuis longtemps...

en disant ces derniers mots,il éclate en sanglots.
des sanglots énormes,des larmes plein le visage.
je suis abasourdie,je n'avais jamais vu un homme pleurer avant lui.
chagrin d'homme,désespoir d'enfant,ou bien l'inverse,je ne sais pas...mais je suis bouleversée.
j'ai le nez qui picote,la gorge étranglée,je suis renversée par l'émotion,je ne sais pas quoi dire,pas quoi faire...
il faut qu'il arrête,sinon je vais me mettre à pleurer aussi,et je ne peux pas,je ne dois pas.
-oh monsieur Jean.....monsieur Jean....,ne pleurez pas comme ça...
il hoquète maintenant:
-vous comprenez mademoiselle,je n'ai pas pu lui dire que je l'aimais...je suis parti à la guerre,il a dit qu'il m'attendrait,et c'est lui qui est parti avant que je revienne....j'ai fait ma vie bien sûr,mais j'avais déjà tout perdu.
et il pleure,et il pleure.
je n'en peux plus,je lui dis:
-monsieur Jean...arrêtez de pleurer je vous en prie,sinon je vais pleurer aussi...
c'est tout ce que j'ai trouvé pour me sortir de là.
sa bonne éducation reprend aussitôt le dessus,et il se ressaisit.
-excusez-moi mademoiselle,je ne voulais pas vous importuner avec tout ça....vous pardonnez à un vieil imbécile?

monsieur Jean mourra quelques jours plus tard.
j'espère qu'il a retrouvé son père,comme il le souhaitait....depuis un demi-siècle.
une éternité pour un enfant.

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Commentaires
U
je me suis précipité pour ecrire un commentaire tant l'histoire me touche et la le seul mot qui me viennent c'est la grâce ...
A
trés touchante ton histoire... ca doit etre emouvant de vivre des choses pareil!!!<br /> <br /> bizzzz<br /> adeline
E
eh bé c'est une histoire émouvante...!
les saisons du vent
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