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les saisons du vent
27 juin 2008

Liliane (lundi-mardi)

je viens de passer une semaine particulièrement éprouvante.
je peine à m'en remettre.

lundi-mardi
je retrouve une aide-soignante que je n'avais pas vu depuis plusieurs mois,bien que toujours dans le même service,histoire de planning.
elle travaille bien,je l'aime bien.
mais je la trouve changée:ses demandes de mutation (interne) n'aboutissent pas,et elle en a "plus que marre de ce service de merde,où tout le monde ne fait que de mourir..."
du coup,elle assure le service minimum,de mauvaise grâce.
elle devient même opposante à faire des soins,tout est trop.
je prend alors mon air bovin (impavide) le plus réussi et j'attends.
ça marche,elle finit par se rendre à mes raisons,même si j'ai droit à des lamentations,gromellements et compagnie.

j'ai pas mal d'entrées des urgences,des patients qui doivent être revus par l'interne de garde,car le transfert nécessite un transport en véhicule dans un bâtiment annexe,d'où réexamen médical.
un des patients à qui je prends la tension a un chiffre systolique différent aux 2 bras (19 et 17),il est connu hypertendu et n'a pas pris son traitement du soir.
cette différence arrive parfois,on l'indique au médecin et d'habitude ça ne va pas plus loin.
mais l'interne que je vois se met à pâlir et me lance:
-ne me dis pas qu'il est en train de faire une dissection aortique ???"
-heu...mais là il est en train de manger une compote...
-mais c'est grave là ce que tu me dis!
-heu...la compote?...nan...j'rigole...tu sais c'est déjà arrivé cette différence de chiffres,tiens l'autre jour j'ai pris la tension au pneumologue de garde à sa demande et au dynamap,et il avait aussi 2 points de différence entre les 2 bras....et il est toujours là,pas disséqué pour un sou.
-(regard noir)...c'est ce qu'on nous apprend,2 points de différence c'est la dissection aortique
-bon,bon,je vais la reprendre,j'ai sûrement mal entendu.
je vais revoir le patient qui se demande ce que je veux avec ses bras,alors qu'il est en train d'avaler son 1er repas depuis 12 heures;j'ai pris le Dynamap cette fois,une machine,comme ça plus de doute.
elle m'indique alors 20,5 et 21 aux 2 bras
bon,j'ai mal entendu,bizarre,mais comme on dit "errare humanum est"
l'interne soulagée se détend mais à ma question de savoir ce qu'on fait avec cette tension,elle me dit d'attendre 2 heures pour voir,histoire que le patient se détende un peu et fasse baisser sa tension.
...pas grave si les chiffres sont hauts (?),on a échappé à la dissection aortique.

un autre patient me sollicite beaucoup.
il a des douleurs persistentes dans la hanche,il est déjà sous patch de morphine ,mais il a toujours mal.
je vois que le médecin a prescrit de la morphine en injectable si besoin,en bolus sous-cutané.
je le lui fais,vu l'échec d'un 1er antalgique en perfusion et devant ses larmes de souffrance.
je trouve ensuite qu'il dort bien,drôlement bien même,lui qui a le sommeil fragmenté habituel de l'insuffisant respiratoire.
tant mieux pour lui,il est soulagé enfin,mais quelque chose me tracasse dans ce sommeil.

le lendemain soir,il me réclame évidemment la même piqûre.
par prudence et intuition,je ne lui fais qu'une demi-dose par rapport à la prescription,son sommeil de plomb de la nuit d'avant m'ayant laissée une impression pas très nette.
2 heures après,lors de mon tour,je le teste avec ma lampe de poche:sur les yeux,en va-et-vient,c'est ma technique pour m'assurer que les gens dorment d'un sommeil normal, (quand j'ai un doute)
sous l'effet lumineux,ils se mettent à remuer sans se réveiller.
mais chez lui,pas de réaction;
je le secoue,tapote les joues,pince le nez.....il ne bronche pas,il se contente de ronfler.
j'appelle l'interne en lui disant que le patient ne se réveille plus avec ses 5 mg de morphine.
il est en surdosage morphinique....ses pupilles sont en tête d'épingle,dignes d'un junkie fini.
l'interne arrive à le réveiller par stimulation autrement plus douloureuse que mes petits tapotages:elle lui luxe brièvement la mandibule,et ça marche:le patient se réveille mais alors il est complètement shooté,le regard est fixe et la parole lente et laborieuse.
l'interne pense que s'il avait eu ses 10 mg,il aurait été cuit.
c'est une jeune femme très douce,très agréable,qui a travaillé au début de ses études de médecine comme aide-soignante l'été.
j'ai connu aussi un garçon comme ça,fils d'un médecin de l'hôpital,étudiant en médecine donc,qui venait tous les étés faire des remplacements en gériatrie la nuit en tant qu'aide-soignant:c'était la coqueluche de tout le bâtiment de gériatrie.

l'interne a aux pieds des sabots rouges qui imitent une marque à tête de crocodile:c'est rigolo comme tout,j'ai envie d'avoir les mêmes,elle me dit qu'elle aurait aimé les avoir en style Bob l'Eponge...
ça me fiche un coup de vieux,Bob l'Eponge?....est-elle si jeune que ça?

ça me fait penser à cet adage:
comment voit-on qu'on prend de l'âge quand on est infirmièr(e) à l'hôpital?
au début,les internes sont plus vieux que vous,ensuite ils ont votre âge,et puis ils sont de plus en plus jeunes,jusqu'à ce qu'ils aient l'âge de vos propres enfants.

je revois ma patiente sage-femme:ça a l'air d'aller ce soir.
on lui a posé un port-à-cath,étant devenue impiquable,prélevé enfin un échantillon de ses ganglions pour les analyser et adapter une chimio le plus rapidement possible.
il y a forte suspicion d'un néo mais on n'arrive pas à le localiser,la sale bête est planquée et envoie ses sbires dans les ganglions du cou,ganglions qui sont devenus énormes au point de créer cette gêne respiratoire et le syndrome cave.
le moral de Liliane est bon "enfin les choses bougent",son état respiratoire est stationnaire,ça va sous O2 et elle ne tousse plus beaucoup.
elle est manifestement soulagée par les doses de corticoïdes qu'on lui administre.
elle a une tête qui s'est arrondie sous l'effet de ce traitement,mais elle est souriante.

elle me reparle cependant de la semaine d'avant où elle avait eu un genre de malaise;
cette fin d'après-midi là,cela faisait 2 heures qu'elle appelait pour dire que "ça n'allait pas"
devant l'absence de signes objectifs (paramètres vitaux normaux),on lui répondait "si ça ne va toujours pas dans un moment,rappelez"...alors elle rappelait,et elle avait la même réponse..
..hmmm,kafkaïen...
elle avait donc rappelé pendant les transmissions et c'est moi qui ai hérité du "bébé".
quand je suis allée la voir,je l'ai trouvée complètement paniquée,les yeux exorbités,le visage rouge et elle disait "ça va pas,ça va pas!!"
puis elle s'exclame tout à coup "je pars...je pars!!" avec un air de pure terreur.
j'ai pris ma voix la plus basse pour la calmer,tout en la regardant attentivement.
-mais non...je suis là.
ses constantes étaient correctes,à part une légère tachycardie.
j'appelle l'interne et en attendant je la fais parler;elle dit qu'elle entend bizarrement,voit des couleurs bizarres,et elle est super angoissée surtout.
l'après-midi même elle était allée passer un scanner;je lui demande ce qu'on lui a dit,étant d'une profession médicale,je suis sûre qu'on lui a dit des choses que le simple quidam n'aurait pas su.
elle me répond qu'elle a des ganglions dans tout le thorax avec des thromboses des veines disséminées partout.
ah...j'accuse le coup mentalement: "quelles nouvelles..."
elle hoche la tête.
je lui demande alors tout à coup:
-dites-moi,je ne vous ai jamais vu pleurer depuis que je vous connais
-c'est vrai,je ne pleure jamais,c'est comme ça
-pourtant,avec des nouvelles pareilles,vous ne croyez pas que vous pourriez pleurer un peu?
-à quoi ça sert de pleurer?
-à s'adapter et à accepter une certaine réalité
-vous croyez?
-oui,je crois...pleurer ça aide ..
ses yeux s'emplissent d'eau mais rien ne coule.
-je n'arrive pas à pleurer,je suis comme ça
-je vois ça,de sacrés verrous....mais vous savez,le choc des mauvaises nouvelles,il faut bien que ça sorte quelque part,et si ce n'est pas par les larmes,c'est ailleurs dans le corps

elle me regarde d'un air éperdu,mais elle ne pleurera pas.
c'est une femme plutôt secrète et taciturne qui prend beaucoup sur elle.

l'interne arrive,on fait ECG,Gaz du sang...tout est normal,probablement une crise d'angoisse.
cependant son histoire de thrombose me tracasse,et je lui recommande de ne pas se lever,bien qu'elle soit sous anti-coagulant déjà...on ne sait jamais,elle avait quand même une drôle de tête pour une femme si maîtresse d'elle-même d'habitude.

cet incident n'a pas eu de suite,on en reparle donc ce soir,on en rit même en appelant ça son "coup de cal-gon"
elle fait tout de même un raccourci mental en disant qu'à chaque fois que je suis là,il lui arrive un mauvais truc.
je lui fais remarquer que c'est une coïncidence et qu'elle oublie les fois où elle n'allait pas trop bien et que j'étais absente,ainsi que les fois où j'étais là et que tout se passait bien.
je lui demande si elle est satisfaite de mes soins,elle me répond "oh oui"
mais curieusement elle reste sur cette idée,et moi ça me contrarie un peu,je n'aime pas qu'elle s'imagine que je lui apporte la poisse.
du coup,le lendemain soir,je ne m'attarde pas chez elle,tout va bien,rien à signaler.
les 2 nuits se sont bien passées pour elle,et je me retiens de lui dire "alors,vous avez vu ??"

donc ces 2 nuits-là,on a beaucoup travaillé l'AS et moi.
beaucoup de sonnettes aussi,des gens à changer,notamment un patient dément qui passe son temps à défaire son lit,à jouer avec ses selles,à essayer de passer par-dessus les barrières,à arracher sa perfusion....
des disputes aussi à gérer entre voisins (pour une histoire de volet ou de télé)
ce doit être la chaleur qui les énerve tous comme ça.

dire qu'ailleurs dans les autres services,la majorité du temps,c'est si tranquille la nuit...

(à suivre)

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