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les saisons du vent
18 mai 2009

la famille tuyau-de-poêle

quand elle est arrivée,c'était la nuit.
petite dame un peu frêle et très déshydratée,un peu désorientée et très fatiguée
au point d'être un peu en partance pour l'Autre-Côté.
alors elle est arrivée dans le service et on s'est mis à la soigner,
en attendant que le temps fasse son oeuvre,lui aussi.

classique.

et puis,dès le lendemain,on a fait connaissance avec sa famille.
et là..pas classique du tout.

d'abord,il y a le père.
petit bonhomme à la tête de farfadet,il aime se présenter en brandissant un doigt qui a la particularité d'être double;
2 ongles côte à côte sur la même phalange,c'est curieux,surtout quand il le pose sur votre bras.
car monsieur est du genre tactile et manifestement,les "'tites z'infirmières" ça le botte vraiment.
il nous déshabille du regard,de haut en bas,en disant d'un air gourmand "ho,les belles filles,ho k'elles sont belles..."
quand la fille est petite,il dit "ho,qu'elle est petite,il m'en faudrait 2 comme ça dans mon lit!"
quand la fille est grande,il dit "ho,qu'elle est grande,elle devrait faire du lancer de poids!"
il aime se promener dans le service,rentrer dans toutes les chambres,et regarder les patients:
quand c'est un "vieux",il dit "moi,je suis encore vert!"
quand c'est un moins vieux (40 ans par exemple),il dit "tiens! un nouveau-né!"
il s'est trouvé un copain,visiteur comme lui,qui vient voir sa "copine" de 97 ans en lui faisant des bécots et des chatouilles.
paraît-il.
c'est notre compère qui nous l'a affirmé en disant que lui,les voyait bien se faire des cochonneries.
et le copain de répondre:
"à nos âges,à défaut de tendre le bras,il nous reste la bouche,si vous voyez ce que je veux dire...!"
on voit.
cela n'a pu que séduire notre homme,et c'est ensemble qu'ils échangent des considérations aussi égrillardes qu'à la caserne de leurs 20 ans.
c'est un autre patient,un "nouveau-né" qui me l'a dit,un peu gêné..."vous savez...c'est deux-là,ils n'arrêtent pas de parler sur vous,c'est du lourd..."
on n'en doute pas.
d'ailleurs,nous sommes toutes éberluées par ces phénomènes,et en tant qu'éléments féminins,nous concluons doctemment que décidemment,chez les hommes,"ça" les travaille jusque dans la tombe.

l'apothéose est arrivé un dimanche quand il dit à une jeune aide-soignante: "ho,toi,t'as des yeux de cochonne !!!"
bon,c'est vrai qu'elle était allée en boîte toute la nuit et qu'elle avait peu dormi.
elle en a été horriblement vexée d'ailleurs...
surtout quand ses collègues lui ont dit "ho! toi,il t'a reconnue!!"
ce à quoi,elle a répondu par une bassine d'eau froide jetée à la volée,sur le dos de ces collègues ricanantes,ce qui a dégénéré en une bataille d'eau en règle.
heureusement que c'était dimanche.
il a plu du plafond ce jour-là.
une façon de laver l'impression de sale.

ensuite il y a le fils et la fille.
tous deux adultes,mais tous deux un peu simplets.
la fille reste assise sur la chaise devant sa mère,sans parler,le regard un peu égaré:une fois assise,elle ne se lève plus.
si on a besoin de passer entre le lit et la chaise,on doit bouger le lit,la fille refusant de bouger de sa chaise.
elle ne dit pas un mot jusqu'au signal de départ du père.
mais au moins elle n'a pas l'air violent.
car le fils est plus perturbé:quand il arrive,il se met assis sur le lit et dévisage sa mère tout le temps de la visite.
quand on le fait sortir pour les soins,il devient très nerveux et se met à marmonner dans sa barbe;
on se chuchote qu'il est un peu fou/parano:
une fois,il a pris pour cible une infirmière,peut-être ressemblait-elle à quelqu'un qu'il n'aimait pas
quoiqu'il en soit,il s'est mis à vociférer des mots sans suite en agitant le poing,
au point -c'est le cas de le dire- qu'elle a dû se réfugier dans une autre chambre en lui claquant la porte au nez.
la cadre ayant voulu intervenir a vite battu en retraite devant les cris qu'il s'est mis à lancer
- "toi,tu vas parler comme moi,toi tu bouges pas les lèvres et tu parles sur moi..???.toi,tu me laisses tranquille!!"

évidemment,nous avons toutes ri sous cape devant la mine de notre cadre qui a décrété que comme c'était un fou,on ne devait rien dire,et plus vite on s'en débarrassera,mieux ça sera.
elle qui disait qu'on exagérait avec cette famille et qu'on faisait des jugements de valeur indignes de soignants.

apparté:
pour ma part,j'ai trouvé qu'il avait raison:la cadre parle pratiquement sans bouger les lèvres,ce qui lui donne un air de petite grenouille
j'ai donc trouvé l'identité définitive de la cadre du service: Reinette la Grenouille
c'est ainsi que je la désignerai dorénavant.
la vérité sort de la bouche des simplets.

il y a une 3ème fille qui habite à l'étranger et qui téléphone en disant que sa famille est complètement folle,
que c'est pour ça qu'elle les a fui,et aussi que son père est maltraitant avec sa mère.
quand on lui propose de parler à sa mère au téléphone,elle accepte mais c'est à un perroquet que parle la mère;
le perroquet de la fille,si vous suivez bien.
parce qu'il paraît que la mère adore causer au perroquet de sa fille.
c'est la fille qui le dit.

et puis il y a la mère.
petite dame frêle hospitalisée pour déshydratation sur vomissements.
son mari a clamé son dégoût de la chose "vous vous rendez-compte,je dois la démerder 3 fois la nuit!!"
elle,elle se sent bien avec nous,elle ne veut plus rentrer chez elle.
nous,on la dorlote.
c'est pour elle que nous supportons les remarques et coups d'oeil égrillards du mari.
c'est pour elle et non pour ses 80 ans à lui qu'on se retient de dire les mots qui nous démangent.
c'est pour elle qu'on ne fait pas de vague.
50 ans qu'elle le supporte.
alors nous pouvons le supporter quelques 3 heures par jour.

un jour où elle devait boire une préparation en vue d'une coloscopie,nous lui avons apporté un litre de cette boisson un peu salée qui a pour effet de nettoyer les intestins,et de provoquer une diarrhée en somme.
pour lui faire passer le goût,on y avait rajouté du sirop de grenadine, et si à 13h30 la bouteille bien rouge et bien pleine se trouvait sur sa table de nuit,à 16h elle était vide.
agréablement surprise,l'infirmière lui demande:
-c'est bien madame,vous avez tout bu...
devant le sourire en coin de la dame,un doute saisit ma collègue:
-c'est bien vous qui avait bu la boisson?
-mmmmmhhhh
alors le mari:
-elle était bonne cette grenadine! pourquoi ?
qui a dit que la vengeance est un plat qui se mange froid?
on en ri encore.

enfin un jour,elle est rentrée chez elle.
son mari en était tout déconfit,il se voyait bien en veuf,il l'avait dit à toutes leurs connaissances qui,inquiètes appelaient au service pour savoir si c'était bientôt la fin ou déjà fini.
tout ce que l'hôpital a pu faire,c'est mettre en place des aides à domicile,une visite tous les jours pour cette petite dame à l'environnement familial limite.

histoire de veiller sur elle,de lui donner une bouffée d'air venu de l'extérieur,en espérant que cela suffise à prévenir une certaine maltraitance familiale latente ou réelle.

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Commentaires
M
J'ai adoré l'histoire de la vengeance !<br /> Souvent, il est vrai, on a le sentiment que des patients nous lancent des appels silencieux au secours, pour ne pas retourner chez eux, oùrègne une atmosphère pas franchement maltraitante, mais sans amour non plus.<br /> Hélas, on ne peut pas être la famille de tout le monde !
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